CONGO: Avec son plan d’échange de dettes, Denis Sassou-Nguesso fait un pari risqué

La dégradation de la note souveraine congolaise de B- à CC par l’agence Standard & Poor’s le 30 octobre, a pris par surprise le gouvernement. Un mois plus tôt, le ministre de l’économie et des finances, Jean-Baptiste Ondaye, confiant, avait lancé, à grand renfort de communication, un ambitieux plan d’échanges de dettes, intitulé Programme national d’optimisation de la trésorerie (PNOT). Loin de rassurer les investisseurs et les agences de notation, le dispositif, par son ampleur et son caractère soudain, a crispé et engendré des doutes sur la capacité du Congo à faire face à ses échéances de paiement à très court terme.

Le PNOT a été conçu par le banquier ivoirien Ibrahim Magassa, d’Algest Consulting, bien introduit à Brazzaville et dans les capitales occidentales (AI du 01/07/22). C’est lui qui est parvenu à convaincre le président congolais, Denis Sassou-Nguesso, de lancer un plan d’ampleur. L’idée est de lisser les échéances de remboursement du Congo à court et moyen terme sur dix années, et d’alléger le service de la dette de 700 milliards de francs CFA (1,05 milliard d’euros).

L’État propose à ses créanciers (qui sont à 80 % des banques africaines) d’échanger l’ensemble des titres du Trésor congolais (OTA et BTA) émis sur le marché communautaire contre de nouveaux titres, dont la maturité pourra s’étaler jusqu’en 2034. Cela représente un encours de 2 314 milliards de francs CFA (3,8 milliards de dollars), dont les deux tiers arrivent à maturité d’ici à la fin de l’année 2026.

Des investisseurs réticents

Dernier étage du dispositif : le ministère des finances a annoncé que les revenus fiscaux de l’État abonderont un compte séquestre logé à la Banque des États de l’Afrique centrale (BEAC), plafonné à 4 000 milliards de francs CFA (6,58 milliards de dollars), afin de garantir le respect des échéanciers. Courant octobre, le gouverneur de la BEAC, Yvon Sana Bangui, a assuré le ministre des finances de son soutien au PNOT, également validé par le Fonds monétaire international (FMI) lors des assemblées annuelles d’octobre.

Le 11 novembre, le Congo, qui se finance principalement sur le marché régional, a indiqué avoir reçu une réponse favorable d’échange pour 1 236 milliards de francs CFA (1,89 milliard d’euros), et avoir levé 250 milliards de francs CFA (380 millions d’euros) de nouveaux bons du Trésor assimilables. Cependant, nombre d’investisseurs restent réticents, en particulier ceux dont les titres arriveront à maturité dans les toutes prochaines semaines. Il est peu probable, en effet, que les banques acceptent de repousser, à la toute dernière minute, le versement du revenu des titres, déjà prévu dans leur bilan.

Autant d’éléments qui font craindre à l’agence de notation américaine un échec du PNOT, un surcoût pour l’État lors de l’opération, voire un « risque de non-remboursement et de restructuration du seul eurobond en dollars contracté par le Congo », qui arrive à maturité en 2029.

Un « Comité de trésorerie »

Le Congo fait régulièrement face à des tensions de trésorerie nécessitant des besoins de financement à court terme. Ceux-ci sont bien plus révélateurs de difficultés à mobiliser les fonds que d’un réel risque de faillite. Depuis le lancement du programme de soutien du FMI en 2022, via l’octroi d’une facilité élargie de crédit, Brazzaville est parvenue à maintenir sa dette en dessous de la barre des 100 % de PIB, et a réussi ses cinq revues financières.

L’État peine cependant à centraliser les recettes des régies financières (impôts, douanes, etc.), qui jouissent chacune d’une grande autonomie, et sont par ailleurs pour la plupart dans les mains du clan Mbochi. Pour trouver tant bien que mal une solution à ces difficultés, Denis Sassou-Nguesso avait pris l’habitude, au début des années 2000, de convoquer un « comité de trésorerie », composé des plus puissantes personnalités de l’époque. On y trouvait, entre autres, Jean-Dominique Okemba, patron des renseignements et neveu du président ; Jean-Jacques Bouya, cousin du chef de l’État et aujourd’hui ministre de l’aménagement du territoire ; Denis Gokana, à l’époque patron de la Société nationale des pétroles du Congo (SNPC) et devenu conseiller spécial aux hydrocarbures du président ; et Albert Ngondo, inamovible directeur général du Trésor.

Le 22 août, Denis Sassou-Nguesso a relancé ce comité, en convoquant dans son fief d’Oyo, dans le département de la Cuvette, les responsables des régies financières : Albert Ngondo, Ludovic Itoua (directeur des impôts), Guénolé Mbongo Koumou (douanes), et David-Martin Obami (directeur par intérim de la Caisse congolaise d’amortissement). Parmi les membres du gouvernement se trouvaient Jean-Baptiste Ondaye et Jean-Jacques Bouya. Ils ont été rejoints par Bruno Itoua (hydrocarbures), Ingrid Olga Ebouka-Babackas (plan, intégration régionale), Ludovic Ngatsé (budget), ainsi que le directeur de cabinet présidentiel, Florent Ntsiba, et le secrétaire général de la présidence, Stevie Péa Ondongo. Le directeur général de la SNPC, Maixent Raoul Ominga, avait également fait le déplacement, l’entreprise étant le premier contributeur fiscal du pays.

L’empressement du président

Le 9 novembre, Denis Sassou-Nguesso a procédé à un discret remaniement de sa direction du Trésor. Stéphanie Mouaya, proche du général Serge Oboa, directeur général de la sécurité présidentielle et cousin de Sassou, a été nommée receveur général, quand Hilarion Ibobi Olessongo, proche de Jean-Dominique Okemba, a pris le poste de payeur général. Enfin, Armel Sylvère Dongou, proche de Rodrigue Nguesso, neveu et conseiller spécial du président, devient trésorier central.

La convocation du comité illustre l’empressement qui a saisi Denis Sassou-Nguesso au cours de l’année, lui qui peine depuis plusieurs mois à trouver un soutien financier chez les partenaires internationaux (AI du 17/07/24). L’État congolais a connu en 2024 des tensions records sur sa trésorerie, avec des souscriptions aux émissions « à des niveaux historiquement bas en 2024, à 48 % », selon Standard & Poor’s.

Par trois fois (deux fois en mai, puis une fois en août), l’État s’est retrouvé partiellement en défaut de paiement, avant de régulariser sa situation au bout de quelques jours. Surtout, le versement des salaires des fonctionnaires, habituellement effectué chaque 24 du mois, a connu plusieurs glissements, rendant la situation politique périlleuse pour le chef de l’État, à dix-huit mois de la prochaine élection présidentielle.

Le pari risqué du PNOT risque d’aggraver à court terme la situation, tout en mettant une pression nouvelle sur la dette intérieure. Autant d’indicateurs qui seront observés lors de la prochaine et dernière revue du FMI, qui doit avoir lieu au cours du mois de décembre.

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