Jean Louis Billon, le délégué départemental du PDCI-RDA, à Dabakala a accordé au quotidien gouvernemental, Fraternité Matin, une interview qui a précédé sa déclaration solennelle de candidature à l’élection présidentielle de 2025. Il évoque, sans ambages, ses rapports avec l’actuelle direction du PDCI-RDA, son « deal » avec feu Henri Konan Bédié, le Président Ouattara et lève un coin de voile sur son programme de gouvernance. Entretien.
Plus d’un an après le décès de Henri Konan Bédié quel regard portez-vous sur l’évolution de votre parti, le PDCI-RDA ?
Le PDCI-RDA, c’est mon parti et je l’ai toujours défendu. S’il est encore présent sur la scène politique, c’est en partie parce que certains cadres, militants et moi-même nous sommes battus pour sa survie. Le Président Henri Konan Bédié en était le gardien. Il nous a soutenu dans ce combat. Aujourd’hui, le parti est trop calme par rapport à l’échéance présidentielle qui approche. Cela fait dix mois que nous avons un nouveau président et nous n’avons pas encore eu le moindre bureau politique. Par ailleurs, le Congrès qui devrait se tenir en octobre de l’an dernier n’a toujours pas encore été reprogrammé. On ne sait pas encore la date de la convention du parti. Or le compte à rebours de l’échéance de la présidentielle 2025 a déjà commencé. Il faudrait que la direction du parti se bouge beaucoup plus. Les cadres expérimentés ne sont pas mis en avant. Lorsque Maurice Kacou Guikahué était le Secrétaire Exécutif en Chef, le parti était plus actif. Chaque échéance était travaillée minutieusement. Je le répète, il est grand temps que la direction du parti se secoue un peu.
Vous avez dit qu’avec le Professeur Maurice Kakou Guikahué, les choses bougeaient un peu plus. Est-ce -à dire qu’il n’y a pas de cadres compétents pour faire bouger le parti ?
Il avait une équipe qui avait une expérience politique de longue date. Aujourd’hui, que ce soit le Secrétaire exécutif ou le président du parti lui-même, ils n’ont jamais été au-devant du parti au paravent. Cela peut arriver dans une institution, mais, n’empêche qu’il faut rester collé aux textes de l’Institution. Un parti politique occupe le terrain politique.
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Il faut que les différentes instances soient animées. Ce sont les instances qui se prononcent sur des sujets d’actualité. Il n’est pas normal qu’avec un nouveau président, on mette aussi longtemps à tenir un bureau politique qui aurait pu se tenir le mois qui a suivi son élection. Afin que la nouvelle vision soit exprimée devant le bureau politique et par la suite au congrès.
Est-ce cette inertie que vous reprochez à la nouvelle direction du Pdci-Rda ?
Oui bien sûr ! Il faut savoir que du vivant du Président Henri Konan Bédié, nous devrions tenir le 13è Congrès du PDCI au mois d’octobre 2023. En clair, ce 13è congrès devrait faire le bilan des actions menées. Il s’est écoulé plus de dix ans depuis le congrès précédent. C’est beaucoup trop. Au prochain congrès, nous devons faire le bilan depuis le précédent congrès et abordé les perspectives.
S’agissant des perspectives, nous étions d’accord pour changer le mode de gestion du parti. Ce sont des choses dont nous devrions rediscuter. Nous étions d’accord avec le Président Henri Konan Bédié pour dissocier la Présidence du parti de la candidature à la Présidence de la République. Cela devrait déterminer l’avenir du parti. Aujourd’hui, ensemble repartir vers le temps des timoniers. Le parti devient presqu’un club de soutien au lieu d’être un véritable parti politique.
Pourquoi avez-vous refusé de poursuivre votre action au sein du nouveau secrétariat exécutif ?
En réalité, j’étais déjà sortant. J’ai été reconduit au secrétariat exécutif sans mon avis. Lors de mes échanges avec le Président Henri Konan Bédié, j’avais déjà décidé de me retirer du Secrétariat exécutif. Nous allions vers une redistribution des fonctions. Il était bon que le secrétariat lui-même se renouvèle.
Quels sont aujourd’hui vos liens avec le président de votre parti ?
Nos liens sont normaux, nous n’avons pas de problème de personne. S’agissant du parti, J’attends que de vraies rencontres se passent en commençant par le bureau politique. Pour l’instant, j’estime qu’il ne se passe pas grand-chose.
Qu’est-ce qui vous motive à vous présenter à la convention du PDCI-RDA ? Quelles valeurs souhaitez-vous défendre au sein du parti ?
Ma candidature était déjà annoncée depuis 2021. Je ne suis pas en train de jouer les troubles fêtes. Je ne suis pas un élément nouveau dans la question de la candidature à la présidentielle.
Il parait que vous avez annoncé votre candidature au Président Henri Konan Bédié avant 2020. Est-ce exact ?
Oui c’est exact. C’est en 2018 que je lui ai dit que je serai candidat pour 2020, lui-même m’encourageait et me prodiguait des conseils. Par la suite, il a voulu lui-même y aller et m’a demandé de me retirer afin qu’il affronte le Président Ouattara.
Ce que j’ai accepté, en prenant la décision de me préparer pour la prochaine fois. Nous sommes tombés d’accord. C’est comme ça que nous avons fonctionné. Je tiens à préciser que je n’avais pas publiquement annoncé ma candidature. Elle était tellement attendue que beaucoup ont cru que j’étais déjà candidat. Le Président Henri Konan Bédié avait décidé de m’accompagner pour 2025.
Votre candidature ne risque-t-elle pas de fragiliser un parti qui a plus que jamais besoin d’unité et de sérénité pour aborder la présidentielle de 2025 ?
Ma candidature est la toute première annoncée avant tout le monde. Je ne suis donc pas l’élément qui fragilise le parti, et le parti n’était pas fragile quand j’annonçais ma candidature. Je pense que tout élément nouveau est plus perturbateur que moi-même.
Seriez-vous prêt à soutenir Tidiane Thiam si vous n’étiez pas investi par votre parti lors de la convention ?
Il faut d’abord tenir un bureau politique, le congrès et enfin la convention. Pour l’instant le président du parti n’a pas encore dit qu’il était candidat à la présidence de la république. Par ailleurs il se pourrait que d’autres candidatures émergent. J’en connais déjà trois (3) autres qui ne se sont pas encore prononcés mais qui ont l’intention de le faire. Pour ma part, j’ai le courage de mes actes et de mes opinons.
Lors du dernier congrès extraordinaire de Yamoussoukro, une motion a été lue faisant Tidiane Thiam, le candidat du Pdci-Rda à la présidentielle ; Que dites-vous ?
Un congrès extraordinaire n’a qu’un seul point à l’ordre du jour, c’est très claire. On ne peut pas glisser nuitamment une résolution et l’imposer à l’ensemble des militants. Une candidature, elle se déclare on ne l’impose pas. Cette résolution est nulle et non avenue au regard des textes du parti.
Peut-on envisager que Jean-Louis Billon se présente en tant que candidat indépendant à la présidentielle d’octobre 2025 ?
On n’y est pas encore. Je suis PDCI-RDA. Je reste PDCI-RDA.
Pouvez-vous, présenter votre vision pour l’avenir du PDCI-RDA et de la Côte d’ivoire ?
Pour le PDCI, je souhaite que le parti se modernise. C’était le véritable projet du Président Henri Konan Bédié pour le 13è congrès que certains trahissent aujourd’hui. Le principal facteur de modernisme était la dissociation de la présidence du parti de la candidature à la présidence de la république. Et que le parti soit géré par une équipe d’expérience. Pour la Côte d’Ivoire, vous me demandez mon projet de société ? Rire ! Je ne vais pas vous le décrire maintenant, quand bien même il est prêt. Le débat politique n’a pas véritablement commencé. Les candidats seront en bataille politique a un moment donné. Les candidats vont exprimer devant les Ivoiriens où ils veulent conduire la Côte d’Ivoire.
Vous sillonnez le pays pour rencontrer les militants de votre parti, quel constat faites-vous, et quel message leur adressez-vous ?
Cela fait 30 ans que je sillonne la Côte d’Ivoire. De par mes fonctions professionnelles dans le privé, mes fonctions en tant président de la Chambre de Commerce et d’industrie, et de mes fonctions politiques. J’ai parcouru le pays en long et en large en tant de paix et de crise. Il y a des choses qui ont été faites après la crise. Mais, il reste encore beaucoup à faire. En terme d’infrastructures pour faciliter la vie économique secteur par secteur, dans l’agronomie ; dans les mines ; dans l’agriculture ; dans le commerce ; dans l’industrie ; dans les services et dans les métiers de l’artisanat, là il y a un véritable plan stratégique qui manque à la Côte d’Ivoire.
Quels sont vos liens avec Laurent Gbagbo ?
Le Président Laurent Gbagbo a dirigé la Côte d’Ivoire pendant dix ans dans une période de crise. Après la crise il a été conduit à la Haye, il a été jugé et acquitté. Selon moi, il devrait donc jouir de l’ensemble de ses droits. Nous ne devrions pas oublier qu’il est l’artisan de la démocratie et du multipartisme en Côte d’Ivoire. J’apprécie l’homme et je le respecte pour son combat politique.
Serez-vous prêt pour une alliance avec le PPA-CI ou avec le RHDP
Nous sommes des partis d’opposition. A un moment donné si nous voulons remporter les élections en Côte d’Ivoire, il est bon que nous ayons un accord. Pas forcément pour que les autres candidats se retirent au profit d’un seul, mais, arrivé au deuxième tour, qu’on fasse front. On doit avoir des relations respectueuses, les uns envers les autres. C’est vrai que nous sommes des partis d’opposition avec des idéologies différentes. C’est pour cela qu’il est difficile de s’entendre au premier abord. Pour remporter une victoire et forcer un changement politique, il faut forcement s’accorder.
Quels sont vos liens avec le Président Ouattara ? Surtout que certains militants du PDCI souhaitent que leur parti retourne au RHDP ?
C’est toujours pour nous une « situation délicate ». Parce que le RHDP, le RDR et le PDCI sont issus du même moule. Traditionnellement le FPI, version originelle et le PPA CI ont toujours eu une vraie idéologie différente des autres. Même si nous sommes des opposants, nous ne sommes pas pour autant des ennemis. Nous ne sommes pas des adversaires, nous sommes plutôt des concurrents. Le bloc de droite, c’est le RHDP et le PDCI et la gauche, c’est le FPI ; le PPACI et les autres. On doit pouvoir se respecter et proposer un programme différent pour apporter le bien-être et le développement aux Ivoiriens. Cet antagonisme entre le bloc de gauche et de droite n’existe pas entre le PDCI et le RHDP. C’est pour cela que beaucoup de militants n’ont pas du mal à rejoindre le RHDP. Le Président Alassane Ouattara est un ancien du PDCI. La majorité des militants du RHDP étaient des militants du PDCI. C’est pourquoi des gens comme moi, Guikahué, Bendjo, nous avons mené le combat pour la survie du PDCI. Le RHDP a fagocité l’ensemble des partis. Mais, nous nous sommes opposés. Le PDCI est le parti fondateur de la Côte d’Ivoire moderne. Il doit rester dans le paysage de la Côte d’Ivoire. Pour ceux qui souhaitent un rapprochement avec le RHDP, c’est leur choix. On entend des bruits. Mais, moi, je n’en fais pas partie en toute honnêteté. Nous ne souhaitons pas la disparition du PDCI.
Avez-vous gardé de bon lien avec le Président Ouattara ?
Bien sûr que oui, je le connais depuis fort longtemps, d’abord au niveau familial ensuite au niveau professionnel. En toute honnêteté il m’a toujours porté en affection et c’est réciproque, il m’a fait l’honneur de m’appeler dans son gouvernement, ça été une belle expérience pour moi. C’est une belle machine intellectuelle et j’ai beaucoup de respect pour lui. Aussi, je suis un acteur politique et je ne peux pas fonctionner sans parler au gouvernement. C’est normal. Dans mon combat politique, je n’insulte personne. Il sait très bien que dans mon combat politique il n’y a aucune malice, bien au contraire.
Vous avez échangé avec des cadres de votre parti. De quoi avez-vous parlé ?
Effectivement, j’échange toujours avec les cadres du parti et je continuerai à le faire.
Est-ce une médiation entre le président de votre parti et vous ?
Il n’y a pas de conflit. Donc, pas de médiation. Je suis candidat. Je souhaite qu’il y’ait une dizaine de candidatures pour voir le jeu démocratique s’exprimer.
Est-ce que Jean Louis Billon a des hommes pour gouverner la Côte d’Ivoire ?
J’ai déjà en tête mon vice-président, mon premier ministre et mon gouvernement.
Un débat a cours sur la crédibilité de la Cei. Que pensez-vous de cette institution ?
Il faut étendre le débat sur la crédibilité de nos institutions en commençant par l’Assemblée nationale, le Sénat ; la CEI, le Conseil constitutionnel et toutes les autres institutions.
Il serait bien que les personnes qui dirigent nos Institutions avant d’être nommés soient auditionnés par des commissions parlementaires composées de l’Assemblée nationale et du Sénat. Que ces personnes soient choisies par rapport à leur neutralité et leur probité. Il faut que ces institutions puissent jouir d’une autonomie et d’une indépendance vis-à-vis du pouvoir exécutif. Vous avez fini par me faire dévoiler une facette de mon projet de société. Rire !
Octobre, c’est le mois de naissance du Président Félix Houphouët-Boigny. Quel souvenir gardez-vous de lui ?
Nous sommes de la génération qui a bénéficié des bienfaits du Président Félix Houphouët-Boigny. Depuis la petite enfance jusqu’à l’université. Nous avons connu une Côte d’Ivoire économiquement et socialement stable. Nous retenons les trente glorieuses de la Côte d’ivoire. Il a mis le pays sur les rails du développement avec un vrai plan stratégique pour la Côte d’Ivoire. Nous avons un grand respect pour le président Félix Houphouët-Boigny, il est le père de la nation.
In Fraternité Matin du Jeudi 24 février 2024